Briser le plafond de verre, inspirer et transmettre : tel est le crédo de Dr Namoin YAO-BAGLO (NYB). Elle est d’abord une femme de foi. Ensuite, une épouse et une mère épanouie. Enfin, une enseignante chevronnée et intrépide. Son expérience professionnelle a commencé avec de grandes entreprises françaises avant l’obtention d’ un contrat doctoral. C’est d’ailleurs la première fois qu’une étudiante étrangère postulait et obtenait ce précieux contrat de l’État Français. Après la soutenance de sa thèse de Doctorat ès Sciences de l’Information et de la Communication, spécialité Communication des Organisations en 2011, elle revient au bercail. Dr Namoin YAO-BAGLO, dans sa peau d’enseignante chercheure à l’Institut des Sciences de l’Information, de la Communication et des Arts (ISICA), un établissement de l’Université de Lomé, a vu défiler plus d’une décennie, des étudiants et étudiantes.
Dans un milieu académique encore largement dominé par les hommes, elle s’impose comme un modèle de réussite et de détermination pour les jeunes filles et femmes.
Dans cette interview vidéo et écrite, elle nous livre son parcours, ses défis et sa vision pour une meilleure inclusion des femmes dans le monde universitaire.
J’avais moins de 30 ans quand j’ai rejoint l’Université de Lomé avec un doctorat et comme je le disais je suis arrivée dans un environnement dont je méconnaissais le fonctionnement d’un point de vue formel et informel, cela m’a peut-être aidé à être moins consciente des obstacles.
Comment avez-vous découvert votre passion pour l’enseignement et la recherche ?
C’est la communication qui est ma véritable passion. Comme j’enseigne ce qui me passionne, cela donne l’impression que l’enseignement est ma passion mais c’est avant tout la communication. J’ai découvert cette passion durant ma classe de terminale dans les années 2000, sans trop savoir ce que c’était. A l’époque, je ne savais pas exactement ce que c’était mais je savais que je ne voulais pas être journaliste. Ce faisant, j’ai eu l’opportunité de tomber sur une formation en France (Dunkerque) qui se dénommait à l’époque « Médiation Culturelle et Communication ». J’ai postulé et ai été prise et voilà la manière dont l’aventure a démarré progressivement pour me conduire vers une thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication (spécialité Communication des Organisations)
Quelles ont été les étapes clés de votre parcours académique et professionnel ?
Vous faites bien de parler d’étapes puisque le parcours s’est construit au fil de l’eau et je suis convaincue que le Seigneur a conduit mes pas. Comme je le disais, après l’obtention du Baccalauréat, j’ai commencé par un DEUG en Médiation Culturelle et Communication, puis une Licence en communication sociale et un Master Recherche en Sciences de l’Information et de la Communication, enfin une thèse de doctorat. Passionnée par le monde des organisations et rêvant de pouvoir travailler à la communication corporate d’une grande institution, je me suis battue pour faire un stage et j’en ai décroché à la communication interne du groupe France Telecom devenu Orange.
J’avais été retenue pour un second stage à la direction de la Communication de la Société Générale à Paris (Défense) avant d’être appelée pour faire ma thèse avec un contrat doctoral (ce qui était la première fois qu’une étudiante étrangère postulait et obtenait ce contrat de l’État français). Une année avant la soutenance, étant sous contrat, j’avais le droit à un poste d’Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER), c’est d’ailleurs là que l’expérience de l’enseignement à l’Université a débuté en 2010. Donc, je dirai que je suis passée du monde de l’entreprise (pratique) à celui de l’Université qui allie la théorie et la pratique. Depuis 2011, j’ai rejoint l’Université de Lomé en tant que vacataire puis assistant en 2012 avant de passer successivement les grades de Maître-Assistant et de Maître de Conférences.
Dans un environnement où les femmes sont sous-représentées dans l’enseignement supérieur, quels ont été les obstacles majeurs que vous avez dû surmonter en tant que femme universitaire ?
A vrai dire, je n’ai pas surmonté des obstacles en tant que tel. Mon parcours est un peu différent. J’avoue que venant de la France et ayant été dirigée par une dame, je suis très peu consciente des obstacles qui peuvent empêcher les femmes de faire leur carrière dans l’Enseignement supérieur. Je suis plutôt le genre de femme obstinée à atteindre ses objectifs, de ce fait, je fais très peu attention aux obstacles. Ma directrice me disait que le monde universitaire est très misogyne. Il est vrai qu’elle parlait de mon ancienne université mais à peu de choses près, on peut faire cette affirmation dans plusieurs universités au monde. J’avais moins de 30 ans quand j’ai rejoint l’Université de Lomé avec un doctorat et comme je le disais je suis arrivée dans un environnement dont je méconnaissais le fonctionnement d’un point de vue formel et informel, cela m’a peut-être aidé à être moins consciente des obstacles.
Quels sont, selon vous, les principaux freins qui empêchent davantage de femmes d’accéder à des postes d’enseignante à l’université ?
Pour faire une carrière d’enseignant-chercheur à l’Université de Lomé, il faut avoir un doctorat qu’on soit homme ou femme. Cependant, il faut noter qu’au sein des universités, il n’y a pas que des enseignants-chercheurs. Il y a aussi le personnel administratif (secrétaires, comptables, chauffeurs, etc.) Donc, si vous voulez faire carrière en tant qu’enseignant à l’Université, il faut avoir un doctorat et qui dit doctorat dit de longues études. Pour une femme dans nos sociétés ici ou ailleurs, les longues études sont souvent mal perçues. Les gens pensent à tort ou à raison que la femme a mieux à faire que de poursuivre ses études au-delà de 30 ans pour obtenir un diplôme avant d’envisager un emploi. Ils craignent qu’elle finisse vieille fille. Ensuite, il faut se faire recruter sur un appel à candidatures : ce qui ne garantit pas l’obtention de son poste d’enseignant-chercheur et ceci est la même chose pour les candidatures masculines. Ces trois facteurs constituent les premiers freins, c’est-à-dire la famille, l’environnement et les règles de recrutement de nos universités.
Comment les universités publiques togolaises peuvent-elles créer un environnement plus inclusif et équitable pour les femmes qui souhaitent faire carrière dans l’enseignement supérieur ?
Les termes « inclusif » et « équité » sont souvent mal compris dans nos sociétés africaines. On a souvent l’impression que ces termes ne s’appliquent qu’à la femme. Or, il faut véritablement une politique d’inclusivité et d’équité pour une société plus juste, plus égalitaire avec pour finalité la représentativité des différentes couches sociales qui la compose. Sinon, on aura une société rien que pour les plus nantis, une société d’hommes, de personnes bien portantes, etc. et on laissera de côté toutes les personnes qui ne cochent pas ces cases. Cependant, notre société regorge beaucoup de personnes différentes par leur sexe, leur âge, leur ethnie, leur milieu social, etc. Il s’agit in fine pour les organisations d’une question de management. Quelle politique de management mettons-nous en place pour inclure ces personnes dans nos organisations puisqu’elles y ont aussi leur place ? Pour revenir à l’enseignement supérieur, une attention particulière doit être portée sur les questions d’harcèlement sexuel, les remarques sexistes en amont et en aval du parcours de la doctorante à condition que celle-ci ne prête pas le flan non plus. L’équité est déjà présente puisque nous avons les mêmes salaires au même grade que vous soyez homme ou femme.
Si vous avez le titre de docteur sans avoir l’esprit d’analyse, l’esprit critique voire de mise en perspective, etc. qui vont avec, cela vous servira à peu de choses.
Vous avez mené plusieurs recherches et interventions sur la communication organisationnelle et publique. Comment ces travaux contribuent-ils à la société togolaise et africaine ?
Les recherches menées sont des connaissances produites sur les sujets abordés. En effet, j’ai fait des recherches et publié des articles sur la communication publique et territoriale au Togo. J’ai aussi participé à la formation de certaines personnes travaillant au sein des collectivités. Ce faisant, j’ai partagé mes modestes connaissances sur le sujet. Vous savez que l’acquisition de connaissances ne conduit pas automatiquement à la transformation ; cette dernière s’obtient grâce à la mise en application. Les publications sont disponibles en accès libre, les personnes intéressées peuvent aller les chercher et en tirer des clés pour une meilleure action publique au service des citoyens car les gens doivent comprendre que la communication publique est d’abord un service public tourné vers les citoyens.
Quel a été le plus grand défi professionnel que vous avez relevé jusqu’ici, et comment avez-vous réussi à le surmonter ?
Mon plus grand défi professionnel a été de constater que l’écosystème de la communication au Togo n’était pas organisé. En effet, à mes débuts de carrière, j’ai compris que la communication bien qu’en plein boom au Togo, aucune association des professionnels n’existait. Le défi était donc de réunir ces derniers dans un cadre d’échange afin de penser ensemble les challenges liés à ces métiers émergents et passionnants d’une part. D’autre part, il fallait aussi penser à la structuration du champ. Pour ce faire, j’ai d’abord organisé une première rencontre des professionnels de la communication au Togo en 2013, puis créé l’association Agora des Professionnels de la Communication (Aprocom-Togo) avec d’autres professionnels en 2014. Je suis contente de savoir que l’association grandit et se porte de mieux en mieux depuis mon départ à sa tête.
Comment accompagnez-vous les jeunes étudiantes et étudiants dans leur parcours académique ?
Je les accompagne essentiellement par des conseils et en les motivant surtout. Je leur dis souvent que personne ne les attend dehors après leur étude pour leur brandir un contrat. Ils doivent se battre pour en trouver un (à commencer par le stage) et le garder sur un marché très compétitif et hyper concurrentiel. En général, ils trouvent que je suis trop dure, mais ils finissent par me donner raison. J’essaie aussi d’être proche d’eux pour essayer de les écouter (dans la mesure du possible) au-delà de l’enseignante que je suis car je sais aussi que certains étudiants traversent d’énormes difficultés personnelles et ont parfois besoin d’une oreille attentive ou d’une écoute active.
Pour une jeune fille qui aspire à devenir professeure d’université ou chercheure, quels seraient les conseils que vous lui donneriez pour réussir dans ce domaine ?
Le premier conseil est de s’assurer que c’est ce qu’elle veut vraiment, que c’est à cela qu’elle est destinée car le titre de docteur ou de professeur est valorisant dans notre société mais le parcours de thèse n’est pas facile. Il faut faire preuve d’endurance et de persévérance pour avoir le sésame après plusieurs années car le cheminement est souvent solitaire.
Si cette condition est remplie, il faut travailler. Il y a de plus en plus de personnes qui ont le doctorat par imposture et ce ne sont pas des modèles à suivre. Il faut travailler, être consistante, maîtriser sa matière, c’est vraiment important. Si vous avez le titre de docteur sans avoir l’esprit d’analyse, l’esprit critique voire de mise en perspective, etc. qui vont avec, cela vous servira à peu de choses.
Le dernier conseil c’est de croire en Dieu car c’est lui qui bâtit les vies et les destinées.