Interview : « L’agriculture de précision a nourri ma soif pour la recherche », Aicha BIAOU, doctorante en agriculture
Aicha BIAOU, jeune femme d’origine Togolaise, réside aux États-Unis où elle prépare son doctorat en Agriculture de Précision. Ingénieure d’État en agronomie, diplômée du Maroc, avec une spécialisation en management des ressources en sols et en eaux, elle s’est engagée à acquérir l’expérience nécessaire pour révolutionner l’agriculture en Afrique et particulièrement dans son pays, le Togo. Dans ses bottes, Aicha BIAOU, l’étudiante, n’est ni complexée par son travail dans les champs ni par les stéréotypes qui font croire que la femme doit être loin des terres agricoles. Son parcours est atypique et ses ambitions bien grandes. D’ailleurs, ses recherches ont commencé par porter des fruits, puisqu’elle est sur un projet d’agriculture au Togo. L’étudiante de l’Oklahoma State University, s’ouvre à nous dans cette interview où elle parle de son parcours d’étudiante hors du territoire natal, de sa vision de la femme et de ses ambitions. Bonne lecture !
Partagez avec nous votre parcours et les expériences qui ont façonné votre identité en tant que femme.
J’ai obtenu une bourse du gouvernement togolais et de l’Agence marocaine de coopération internationale pour poursuivre mes études après le baccalauréat scientifique. J’ai intégré l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II de Rabat, où j’ai obtenu en 2021, après un cycle de cinq ans, un diplôme d’ingénieure d’État en Agronomie, équivalent à un Master 1. Par la suite, j’ai été admise à l’Université Mohammed VI Polytechnique pour mon doctorat, où j’ai acquis près d’un an d’expérience en recherche avant d’intégrer l’Oklahoma State University. Quitter mon pays d’origine à un jeune âge m’a forgée pour devenir très indépendante. Avant cela, je recevais de l’assistance pour tout, mon père s’occupait de toutes mes démarches administratives. Cependant, une fois au Maroc, j’ai demandé de l’aide à une amie qui m’a catégoriquement refusé. Ce « non », bien que difficile à accepter, a grandement contribué à mon indépendance. J’ai appris à prendre soin de moi-même et à grandir. J’ai également beaucoup appris sur les relations humaines et sur la manière de vivre en communauté, ayant vécu en internat au Maroc pendant mes études en ingénierie agronomique.
J’ai souvent entendu des commentaires tels que « toi, femme, que fais-tu en tant qu’agricultrice ? » ou encore « l’agriculture n’est pas pour les femmes ».
Y a-t-il des figures féminines qui vous ont inspirée tout au long de votre parcours ? Si oui, qui sont-elles et pourquoi ?
Oh oui ! La première femme qui m’a inspirée et qui m’a toujours donné de la force, c’est ma mère. Cette dame a un parcours très atypique, et à chaque fois que j’avais envie d’abandonner, je pensais à elle et à tout ce qu’elle avait accompli. Je me rappelais alors que j’étais sa fille et que, par héritage, j’avais en moi cette même force. Ensuite, il y a Chimamanda Ngozi Adichie, qui incarne parfaitement ma vision de la femme. J’éprouve beaucoup de plaisir à l’écouter, et chaque fois, je suis émerveillée par ses propos.
Qu’est-ce qui vous a motivée à poursuivre vos études et à emprunter la voie de la recherche ?
Mon projet de fin d’études du master portait sur la télédétection appliquée à l’avocatier. J’ai pris goût à la télédétection, qui est en fait une branche de l’agriculture de précision. Tous les sujets et projets de recherche qui m’intéressaient et pour lesquels j’ai soumis ma candidature tournaient autour de cela. Je me suis dit que ce domaine méritait d’être développé par moi, et c’était soit ça, soit je mettais la recherche de côté. C’est donc l’agriculture de précision qui a nourri ma soif pour la recherche.
Grâce à ce projet, nous avons considérablement augmenté les rendements agricoles des exploitations concernées, notamment dans la culture du maïs, du blé et du riz.
Vous faites vos recherches dans une université américaine. Comment s’est passé votre intégration, à la fois sur le plan personnel et académique, dans un environnement majoritairement anglophone ?
C’est un grand défi que je suis en train de relever. Pour la petite histoire, ayant effectué toutes mes études en français, j’ai préparé mon TOEFL en trois jours et je l’ai réussi du premier coup. Je suis encore en train de m’intégrer, car c’est un système différent, mais je m’y adapte petit à petit.
Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées en tant que femme dans votre domaine d’activité, et comment les avez-vous surmontées ?
J’ai souvent entendu des commentaires tels que « toi, femme, que fais-tu en tant qu’agricultrice ? » ou encore « l’agriculture n’est pas pour les femmes ». Pour surmonter ces préjugés, j’ai dû développer une grande résilience et prouver, à travers mes compétences et mon travail, que l’agriculture est un domaine dans lequel les femmes peuvent exceller tout autant que les hommes.
Que pensez-vous du stéréotype selon lequel les femmes diplômées ne sont pas de bonnes épouses ou restent célibataires ?
Je pense que ces personnes sont complètement à côté de la plaque. L’un n’empêche pas l’autre. Il est tout à fait possible d’être une excellente épouse, peu importe les diplômes que l’on possède. Il s’agit de savoir dissocier sa vie professionnelle de sa vie personnelle et amoureuse. Gérer son foyer est indépendant des diplômes.
Quels conseils donneriez-vous à une jeune femme qui souhaite se lancer dans la recherche ?
Tout est possible à celui qui croit, surtout à celui qui se donne les moyens d’y arriver. Ne vous limitez pas à cause de votre genre, et ne laissez jamais penser que certaines opportunités vous seront défavorables parce que vous êtes une femme. Osez, brisez les stéréotypes et les préjugés et brillez, car nous sommes les plus belles créatures du monde. En plus, dans la recherche, la curiosité est votre meilleur allié. N’ayez pas peur de poser des questions, d’explorer de nouvelles idées, et de persévérer face aux défis. Le savoir est une aventure, et
vous avez le pouvoir d’y exceller.
Quelles sont vos ambitions pour l’agriculture africaine, celle togolaise en particulier ?
Lors de mon entretien pour intégrer l’Université Mohammed VI Polytechnique, j’ai demandé s’il serait possible d’avoir des sites d’expérimentation au Togo, car charité bien ordonnée commence par soi. Par conséquent, j’ai souhaité que mes toutes premières contributions en termes de recherche soient appliquées aussi dans mon pays d’origine. Mon ambition est de voir l’agriculture togolaise se développer, avec une jeunesse de plus en plus impliquée, tout en contribuant à une transformation durable de l’agriculture en Afrique. J’ai eu la chance de participer à un projet en parfaite adéquation avec ces objectifs. Ma première expérience en recherche, en collaboration avec l’African Plant Nutrition Institute sur le projet Nutrient Catalyzer Agricultural Transformation, m’a permis de travailler sur 20 sites au Togo et dans d’autres régions d’Afrique. Grâce à ce projet, nous avons considérablement augmenté les rendements agricoles des exploitations concernées, notamment dans la culture du maïs, du blé et du riz. Le projet est toujours en cours, et je continue d’y apporter mon expertise en techniques d’agriculture de précision, avec pour ambition de créer un modèle reproductible à l’échelle africaine, assurant sécurité alimentaire et prospérité pour les communautés locales.
Merci Mme et très bonne suite !
Merci beaucoup. Toute ma gratitude à l’équipe de AfrikElles.
Propos recueillis par Eugenie GADEDJISSO TOSSOU