INTERVIEW : « Contre les mariages d’enfants, nos dirigeants doivent agir maintenant ! », Abigaël Ama ADJABLE
La campagne des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre, démarré le 25 novembre dernier, se termine le 10 décembre prochain. Dans le cadre de cette campagne mondiale, le mouvement « Enfant, Pas Épouse du Togo », soutenu par WiLDAF-Togo et l’ONG FAMME à travers le projet Agir pour l’abandon des mariages d’enfants attire l’attention des décideurs. Il regroupe plusieurs organisations de la société civile (OSC) engagées dans une lutte commune : celle de mettre fin aux mariages d’enfants. Dans cette interview qu’a bien voulu nous accorder sa présidente Abigaël Ama ADJABLE, nous parlons plus amplement de la problématique du mariage des enfants et du besoin d’agir.
Pouvez-vous nous expliquer brièvement l’objectif du mouvement Enfant, Pas Épouse du Togo et son rôle dans la lutte contre les mariages d’enfants ?
Le mouvement Enfant, Pas Épouse du Togo est un regroupement de plusieurs organisations de la société civile et des personnes à titre individuel qui ont à cœur la défense et la protection des droits humains, mais surtout ceux relatifs aux enfants. Au regard de la persistance du phénomène des mariages d’enfants au Togo, les études menées montrent que le taux de prévalence dans certaines contrées peut atteindre 90 pour cent, comme c’est le cas à Takpamba dans la préfecture de l’Oti sud, nous a interpellé pour conjuguer les efforts non seulement des OSC, des gouvernants, des leaders religieux et traditionnels mais aussi ceux des médias et des communautés elle-même pour venir à bout de cette pratique rétrograde, d’où la naissance de ce mouvement au Togo.
Pourquoi est-il urgent de lutter contre les mariages d’enfants au Togo ?
Les mariages d’enfants constituent une violation grave des droits fondamentaux des enfants et surtout des filles et ont des conséquences dévastatrices sur leur avenir, ainsi que sur le développement de notre pays.
Tout d’abord, les mariages d’enfants privent les enfants de leur droit à l’éducation. On le voit déjà assez tous les jours que Dieu fait, une fille mariée jeune ou qui tombe enceinte est souvent contrainte d’abandonner l’école, ce qui limite ses opportunités économiques et sociales. Cela perpétue le cycle de la pauvreté, non seulement pour elle-même, mais aussi sa communauté.
Lorsqu’une fille est sauvée d’un mariage précoce, il est souvent difficile de lui offrir un suivi complet
Ensuite, ces mariages exposent les filles à des risques élevés pour leur santé. Les grossesses précoces, souvent imposées dans ces unions, sont une des principales causes de mortalité maternelle et infantile. Ces jeunes filles, encore en pleine croissance, ne sont pas physiquement prêtes à supporter les défis liés à la maternité.
Sur le plan psychologique, les mariages précoces brisent les rêves et aspirations des filles, entraînant souvent des traumatismes émotionnels et des violences basées sur le genre.
Enfin, à l’échelle nationale, les mariages d’enfants freinent le développement. En privant les filles de leur potentiel, le Togo perd une partie importante de sa force motrice pour un avenir durable et équitable.
C’est pourquoi il est essentiel pour chacun dans ce pays d’agir maintenant pour sensibiliser, légiférer, et mobiliser tous les acteurs afin de garantir un avenir meilleur aux enfants togolais.
Quels sont les principaux défis auxquels vous faites face dans cette lutte ?
Dans cette lutte, nous faisons face à plusieurs défis majeurs qui se dressent sur notre chemin tels :
Les normes socioculturelles profondément ancrées. Les mariages d’enfants sont souvent justifiés par des traditions ou des croyances selon lesquelles une fille est plus « valorisée » en tant qu’épouse et mère qu’en poursuivant ses études ou en s’émancipant. Ou alors qu’une fille ne peut avoir plus de deux menstrues dans la maison paternelle de sorte qu’elle tombe enceinte et n’entraine ainsi un déshonneur sur la famille.
La pauvreté et l’insécurité économique, voilà un autre facteur encourageant les mariages d’enfants. Dans de nombreuses familles vulnérables, marier une fille est perçu comme un moyen de réduire les charges financières ou une façon d’attirer un homme aisé qui peut alléger les charges de la famille de l’épouse.
Un autre facteur es relatif à la responsabilité des gouvernants, celle de L’application limitée des lois. Bien que des lois interdisent les mariages précoces, leur mise en œuvre reste un défi. Le manque de sensibilisation aux cadres juridiques et l’absence de sanctions dissuasives favorisent la persistance de ces pratiques. Cette inaction entraine une influence négative de certains leaders communautaires qui restent réfractaires aux changements.
Je pourrai aussi parler de l’insuffisance de structures d’accompagnement pour les filles.
Lorsqu’une fille est sauvée d’un mariage précoce, il est souvent difficile de lui offrir un suivi complet, qu’il s’agisse d’un accès à l’éducation, d’un appui psychologique ou d’une protection durable contre d’autres formes de violences.
Ces défis, bien qu’importants, ne sont pas insurmontables. Avec un engagement collectif, des stratégies innovantes et un soutien accru des autorités et des partenaires, nous pouvons continuer à progresser vers l’élimination des mariages d’enfants au Togo.
À travers le projet Agir pour l’abandon des mariages d’enfants, quelles actions concrètes avez-vous menées ?
À travers le projet Agir pour l’abandon des mariages d’enfants, nous avons mis en place plusieurs actions concrètes pour lutter efficacement contre cette pratique au Togo. Sans pour autant m’étaler on pourra retenir les campagnes de sensibilisations qui sont faites par les membres du mouvement et les cyber activistes sur toute l’étendue du territoire.
Nous sommes en train de mener actuellement un plaidoyer qui est notre plus grand défi. Ce plaidoyer il est à deux niveaux. Le premier niveau est communautaire. L’objectif recherché est d’amener les communautés à laisser deux à trois normes néfastes encourageant les mariages d’enfants et là nous sommes sur la bonne voie avec les engagements pris par les communautés et surtout l’engagement de certains chefs influents pour la cause de cette lutte.
Le second niveau il est à l’endroit des décideurs politiques (gouvernants, députés) pour faire respecter les lois existantes et éventuellement les faire évoluer pour renforcer l’arsenal juridique de protection de l’enfant.
Les 16 jours d’activisme sont une période clé pour sensibiliser les populations. Quels messages souhaitez-vous transmettre cette année ?
Pour nous cette année, contre les mariages d’enfants, nos dirigeants doivent agir maintenant ! agir maintenant en investissant plus dans l’éducation des enfants. Cette éducation doit tenir compte aussi des droits a l’éducation et à la santé sexuelle et reproductive des enfants et jeunes. Malheureusement sur cette question, les enfants n’ont absolument aucune notion par exemple sur l’hygiène menstruelle dans plusieurs localités où nous sommes passés. On ne peut plus rester passif devant tant de violation des droits des enfants. Il faut agir pour permettre à chaque enfant, fille de rêver et de réaliser ses aspirations.
Pour finir, quel est votre rêve pour les filles togolaises ?
Mon rêve pour les filles togolaises est qu’elles puissent vivre dans un monde où leurs droits sont pleinement respectés, où elles sont protégées des mariages précoces et de toute forme de violence. J’imagine un Togo où chaque fille a la possibilité d’accéder à une éducation de qualité, d’acquérir des compétences, et de développer son potentiel sans contraintes ni discriminations.
Je rêve d’une société dans laquelle les filles sont valorisées non seulement pour leur rôle de futures épouses et mères, mais aussi pour leur capacité à contribuer activement à la communauté et à l’économie. Que chaque fille puisse rêver grand, poursuivre ses passions, et choisir son propre chemin dans la vie.