Véronique Sènami Bidossèssi Dekpon est une éducatrice, psychopédagogue et militante sociale béninoise, profondément engagée en faveur de l’enfance vulnérable, de l’éducation inclusive et de l’autonomisation des filles. Militante de l’association Wadôxami, elle consacre sa vie à éduquer, élever et éveiller les enfants à travers une pédagogie fondée sur l’amour, la dignité et le respect des identités. Née dans un contexte marqué par les inégalités sociales et éducatives, Véronique a elle-même été confrontée à de nombreuses épreuves : enfance difficile, stigmatisation liée à sa condition de fille-mère, puis veuvage. Ces expériences ont forgé sa détermination à offrir aux enfants ce qu’elle n’a pas toujours eu : un accompagnement bienveillant, un accès à l’éducation et un espace d’expression. Diplômée en sciences de l’éducation, elle est également formée en psychopédagogie, discipline qu’elle met au service de sa mission. Son action ne s’arrête pas aux salles de classe : elle est aussi chargée de la communication du Réseau des Femmes Leaders Religieuses et Traditionnelles du Bénin (RFLRTB), un espace d’interconnexion entre foi, culture et action communautaire. À travers ce réseau, elle milite activement pour la scolarisation des filles, la lutte contre les mariages précoces et la promotion des droits des femmes dans les traditions locales.
Aujourd’hui, Véronique Dekpon est reconnue comme une voix essentielle de l’éducation sociale au Bénin, porteuse d’un message d’espoir, d’amour et de transformation. Dans cet entretien, elle partage son parcours, les fondements de son engagement et les défis quotidiens de son combat pour l’enfance et l’éducation.
Veuillez nous partager votre parcours et ce qui vous a menée vers l’éducation et l’accompagnement des enfants vulnérables.
Ce sont les réalités de mon enfance qui m’ont profondément marquée et guidée vers mon engagement actuel. J’ai grandi dans un environnement où l’accès à l’éducation n’était pas garanti. Par chance, un changement de milieu s’est avéré très bénéfique pour moi, et mes tuteurs ont œuvré pour que cela soit possible. Très jeune, j’ai vu des camarades abandonner l’école faute de moyens, des petites filles sacrifiées sur l’autel des traditions, ou encore des garçons livrés à eux-mêmes, sans encadrement ni soutien.
Étant moi-même enfant de fille-mère (ma mère m’a eue à 15 ans), et ayant été fille-mère à mon tour (j’ai eu mon aîné en classe de terminale), j’ai été confrontée à de nombreuses étiquettes et stéréotypes. Ces expériences ont laissé une empreinte indélébile en moi. J’ai compris que chaque enfant, peu importe son origine, mérite une chance : une chance d’apprendre, de rêver, de s’épanouir. C’est ainsi que je me suis tournée vers l’éducation et l’accompagnement des enfants vulnérables. Aujourd’hui, mon engagement est nourri par cette mémoire, par ce vécu, qui me rappelle chaque jour pourquoi je me bats : pour que plus aucun enfant ne soit laissé pour compte.
Vous cumulez plusieurs rôles : éducatrice, psychopédagogue, présidente d’association… Comment gérez-vous toutes ces responsabilités ?
Je les gère tant bien que mal, parce qu’au-delà de la passion, ces responsabilités me permettent aussi de joindre les deux bouts. Étant veuve, je dois me battre pour subvenir aux besoins de mes enfants, affirmer ma personnalité tout en préservant ma dignité.
Qui sont vos modèles ou sources d’inspiration dans votre engagement social ?
Ma mère, tout d’abord. Elle m’a toujours encouragée et accompagnée dans mes démarches. Ensuite, le Dr Clarisse K. NAPPORN, mon ancienne professeure d’université, qui est comme une seconde mère pour moi. Elle m’a initiée à la psychologie des sciences de l’éducation. Hermione LIGAN, une sœur, amie et journaliste très engagée dans le social à travers sa structure Twins Foundation, qui milite pour la cause des veuves et des orphelins. Enfin, Mme Amélie AKPLOGAN MASSESSI, présidente de l’ONG Le Cercle des Oliviers, m’a aussi montré le chemin du social à travers la prise en charge des enfants en situation de handicap.
Il faut également reconnaître que, sur la base des enseignements bibliques que j’ai reçus en tant que chrétienne catholique, Dieu est mon modèle et ma première source d’inspiration. Car Dieu est amour, et quand on regarde la vie de Jésus, elle est remplie d’amour, d’attention et de dignité.
Quel a été le déclic qui vous a poussée à vous engager pour l’association Wadôxami ?
Le déclic pour mon engagement au sein de l’association Wadôxami est né de mon propre vécu. Ayant moi-même grandi dans un environnement où l’accès à l’éducation, au jeu et à un accompagnement bienveillant n’était pas toujours garanti, j’ai très tôt ressenti le besoin de faire une différence dans la vie des enfants vulnérables. J’ai compris que chaque enfant, quel que soit son milieu, mérite une chance de s’épanouir, d’apprendre en s’amusant et de se sentir valorisé. C’est cette conviction profonde qui m’a poussée à m’engager auprès de Wadôxami. L’association incarne des valeurs qui me sont chères : l’affection, l’éducation, la solidarité, l’éveil par le jeu, et surtout, la foi en l’avenir de chaque enfant. Mon engagement est donc à la fois un acte de mémoire, un geste d’amour et un projet d’espoir.
Comment votre rôle de chargée de communication du Réseau des Femmes Religieuses nourrit-il votre action éducative ?
Mon rôle en tant que chargée de communication au sein du Réseau des Femmes Leaders Religieuses et Traditionnelles du Bénin me place au cœur d’un dialogue entre foi, culture et engagement communautaire. Cette mission me met en contact avec des femmes influentes, enracinées dans leurs traditions, engagées dans la transformation sociale et à l’écoute des besoins des populations. Cela rejoint pleinement la vision de Wadôxami. Grâce à ce réseau, je reste connectée aux réalités des communautés à la base, ce qui me permet d’adapter nos interventions éducatives de manière plus sensible, inclusive et respectueuse des cultures locales, d’où une meilleure compréhension des réalités du terrain.
Que signifie « Wadôxami » et quelle est la philosophie de votre association ?
« Wadôxami » signifie, de façon terre à terre : viens en parler avec moi.
Notre devise est : Éduquer, élever, éveiller avec amour et dignité.
Wadôxami est née de la conviction profonde que chaque enfant, chaque fille, chaque femme a en elle une lumière à révéler.
Nous croyons que l’éducation, lorsqu’elle est transmise avec respect, joie et bienveillance, peut transformer des vies et bâtir un monde plus juste.
Nos axes principaux sont : Assistance, Conseil, Éducation et Formation.
Quels sont les principaux défis que vous rencontrez dans l’accompagnement des enfants issus de milieux vulnérables ?
Les obstacles sont nombreux : réticences, incompréhensions, barrières linguistiques, barrières sociologiques…
Comment trouvez-vous l’équilibre entre votre engagement social intense et votre vie personnelle ?
La vie de veuve, surtout en Afrique, n’est pas de tout repos, surtout lorsqu’on est seule à fournir les efforts pour joindre les deux bouts.
Mais je me dois de mouiller le maillot pour prendre soin convenablement de mes enfants. La vie n’est pas toujours rose, c’est vrai, mais je peux toujours compter sur la compréhension et le soutien de mes enfants et de mon entourage, qui sont toujours là pour moi.
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux jeunes femmes qui hésitent à s’engager dans l’action sociale ?
Pour inciter les jeunes femmes à s’engager dans le domaine social, il faut d’abord leur montrer qu’elles en sont capables. Beaucoup hésitent par peur ou par manque de modèles. En partageant des témoignages inspirants, en créant des espaces bienveillants et en leur proposant des actions simples, on leur donne confiance. Quand elles réalisent que leur engagement peut vraiment changer des vies, elles osent faire le pas.
En tant que chargée de communication du Réseau des Femmes Religieuses, quel rôle votre réseau joue-t-il dans l’éducation et l’autonomisation des jeunes filles en Afrique ?
Le RFLRTB joue un rôle essentiel en tant que passerelle entre les communautés, les traditions et les politiques publiques. Grâce à l’influence des femmes leaders religieuses et traditionnelles, le réseau sensibilise les familles, les chefs coutumiers et les communautés sur l’importance de l’éducation des filles.
Il lutte contre les pratiques socioculturelles qui freinent la scolarisation ou l’émancipation des jeunes filles, comme les mariages précoces ou les stéréotypes de genre. Il mène aussi des campagnes de sensibilisation, des actions de plaidoyer, et encourage les filles à croire en leur potentiel à travers des programmes de formation, de mentorat et d’accompagnement.
En résumé, le RFLRTB agit à la fois sur le terrain, dans les consciences et au niveau des décisions, pour créer un environnement plus favorable à l’éducation et à l’autonomisation des jeunes filles en Afrique.
Un dernier mot ?
Je vous remercie pour le coup de projecteur que vous mettez sur Wadôxami. Je rends grâce à Dieu pour chaque femme et chaque jeune fille qui se lève pour servir. Que notre engagement soit toujours guidé par l’amour, la justice et l’espérance. Car servir l’autre, c’est aussi répondre à un appel divin.
Propos recueillis par ADIKI Meheza Nadège