DOSSIER-Togo : Violences sexuelles sur jeune fille, témoignages, impacts, actions et propositions
Les violences sexuelles à l’endroit des filles au Togo sont légions. Pourtant, il est rare de voir des filles porter plaintes lorsqu’elles en sont victimes et même d’en parler à leur proche. Un attouchement, des baisers à caractère sexuel, une pénétration ou tentative de pénétration, des comportements d’exhibitionnisme sont entre autres formes de violences sexuelles observées très souvent. Aujourd’hui, avec les organisations de filles, les langues se délient et les paroles se libèrent. Beaucoup d’actions sont menées et doivent continuer afin de réduire les cas de violences et éviter les traumatismes aux jeunes filles, femmes demain.
Témoignages
Reine (nom d’emprunt) avait 10 ans et faisait la classe de CE2 à Wogba dans la préfecture de Vo au Togo. Elle a eu une opportunité de continuer ses études dans la capitale togolaise chez un couple d’instituteur. Le cadre de vie était bien meilleur, les études mieux organisées. Les parents de Reine n’ont pas hésité à la laisser partir. Tout allait visiblement mieux pour elle. En 6 ans, elle n’a eu aucun échec et montait en 2021 en classe de 3ème. Pendant les vacances scolaires, alors qu’elle et ses tuteurs préparaient la rentrée prochaine, coup de tonnerre, elle a un retard de deux semaines. Sa tutrice lui fait appel, après plusieurs questionnements , Reine avoue avoir été déviergé par le meunier du quartier. Elle explique, combien elle a été harcelée par celui-ci et les conditions dans lesquelles elle a perdu sa virginité. Un test de grossesse, va changer à tout jamais sa vie. Reine se retrouve à 16 ans, avec une grossesse d’un homme qui a été violent avec elle. Ses parents demandèrent qu’elle revienne au village, ses études ont donc connu leur fin. L’auteur a été convoqué mais au final mis en liberté. Cette histoire de Reine, n’est pas un cas isolé. Mille sept cent quarante-sept (1747) grossesses sont enregistrées juste pour le compte de l’année scolaire 2020-2021.
De l’autre côté, plus chanceuse peut être, Jeanne. Elle a subi du harcèlement quand elle était lycéenne. Elle n’en parle qu’aujourd’hui, 6 ans après. « J’étais au lycée en classe de 1ère. Une fille m’envoyait des messages du genre, tu me plais. Au début, je pensais qu’elle voulait qu’on soit des amies vu que nous sommes toutes deux des filles. Sauf que j’ai constaté après qu’elle en voulait plus. Malgré mon refus, elle a continué. J’ai fini par bloquer son numéro mais elle est revenue à la charge avec d’autres numéros », nous confie Jeanne qui avoue ne pas savoir à l’époque que c’était du harcèlement.
« J’ai une proche qui a subi une tentative de viol. Cela a commencé le plus naturellement possible, une drague refusée et ainsi de suite. Le Monsieur était un supérieur hiérarchique, du coup elle sentait une pression sur son lieu de travail. Il lui faisait faire des heures supplémentaires afin de passer du temps avec elle. Ainsi, les attouchements ont commencé et le harcèlement puisque ce dernier s’est permis de la suivre jusqu’à son domicile et après aller saluer la famille à l’insu de cette dernière », a relaté Ayawa, la vingtaine. Les cas de violences sexuelles envers les filles se déroulent au sein des familles, dans le milieu scolaire, les milieux professionnels. Les impacts diffèrent d’une personne à une autre.
IMPACTS
Reine, rêvait de devenir infirmière. Avec sa grossesse et son retour en famille au village, son rêve part en vrac. Le Togo a sûrement perdu ainsi une infirmière dévouée et efficace. Ayawa, nous fait savoir, que son amie, a dû abandonner son premier emploi suite au harcèlement de son patron puisque l’atmosphère lui était invivable et l’insécurité pour elle était criarde. En dehors de l’abandon des classes, donc de ses rêves, d’autres conséquences notamment psychologiques sont recensées. Selon Docteur TODJRO Kodjo, psychologue clinicien, les violences sexuelles peuvent avoir un impact émotionnel sur la jeune fille : « On peut noter dès les premiers jours, la peur, la nervosité, l’hypersensibilité. On peut noter également des crises de larmes, des signes de tristesse, une auto évaluation négative de soi » a relevé le psychologue clinicien qui rajoute que les victimes auront un comportement agressif. « Pire, certaines peuvent penser au suicide quand il s’agit des cas de violences répétés. Elles peuvent même commencer par consommer l’alcool, la drogue, des comportement dépravés, des fugues des jeunes filles » conclut-il. Ces séquelles peuvent trouver une solution quand la jeune fille en parle et est prise en charge tôt . L’efficacité de cette prise en charge passe également par la condamnation de l’auteur.
Dispositions légales sur les violences sexuelles
Les textes au Togo, ne sont pas muets par rapport aux violences sexuelles. Plusieurs dispositions sont prises pour encadrer, réprimer et sanctionner ces cas quand ils sont déclarés et vérifiés. Nous citons à titre d’exemple :
– la loi n° 84 – 14 du 16 mai 1984, relative à la protection des filles et garçons régulièrement inscrits dans un établissement d’enseignement ou dans un centre de formation professionnelle qui sanctionne d’une amende et d’une peine de prison, toute personne qui enceinte une fille régulièrement inscrite,
– la loi n° 2007- 017 du 06 juillet 2007 portant code de l’enfant qui punit au moyen d’amendes et de peines de prison tout auteur d’attouchement sexuel, de harcèlement sexuel, de pédophilie, de séquestration ou de viol,
– la loi n° 2015 -10 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal qui prévoit également des amendes et peines de prison à l’encontre de tout auteur d’attouchement sexuel, de harcèlement sexuel, de pédophilie, de séquestration ou de viol.
Ce cadre est de plus en plus renforcé avec le nouvel avant-projet de loi qui n’attend que les membres de l’Assemblée nationale pour adoption. L’application de ces dispositions demeure un autre défi à relever.
Actions des organisations de jeunes et prévention
Les violences sexuelles sont l’une des thématiques sur lesquelles les organisations de jeunes travaillent. Elles sont d’ailleurs soutenues par des Institutions notamment, Plan International Togo qui met en action un projet dénommé « Girls Lead, Autonomisation des filles et jeunes femmes pour l’engament citoyen au Togo ». Cela a d’ailleurs permis aux organisations de filles de mener des actions pour freiner le phénomène. « Nous faisons des sensibilisations à la cible, des formations sur les thématiques de violences sexuelles et la particularité de notre travail c’est que nous allons questionner les mœurs peu favorables, les pratiques qui favorisent ce phénomène d’où notre sujet de plaidoyer qui porte sur le harcèlement », Afi jeune femme membre du Youth Panel Lomé, l’une des organisations bénéficiaires du projet Girls Lead.
La sensibilisation est l’arme de ces organisations. Les cibles diffèrent, les stratégies également. « Nous faisons des sensibilisations aussi bien dans les écoles que dans les centres d’apprentissage et également au niveau des groupements de femmes. Notre action d’influence dirigée vers les leaders de communauté visant à leurs faire prendre des engagements dans le but de lutter contre le harcèlement sexuel, surtout les normes et croyances les favorisant », affirme Prudence, chargé de communication sur le projet Girls Lead au sein de Alafia Jeunes.
A delà des sensibilisations, « c’est un problème de mentalité qui a besoin d’être transformée » affirme Konia ADOMAYAKPOR, Juriste publiciste. « La population doit être éduquée, dès le jeune âge sur les questions liées à la sexualité et les actes qui font office de violences. Non pas pour faire la culture du sexe mais plutôt pour encadrer cette chose, qui, qu’on le veuille ou non est une réalité que tout le monde vit. Vaut mieux la vivre avec des connaissances vraies plutôt que d’en périr faute de connaissances ou de connaissances erronées », affirme-t-elle.
Elle préconise en outre, la mise en place des mesures de prise en charge et d’accompagnement des victimes, la formation du personnel médical et policier. Cela encouragerait les victimes à dénoncer davantage les violences qu’elles subissent. Rendre également gratuits les certificats médicaux et des rapports d’expertises médico-légaux nécessaires pour prouver des actes de violences à caractère sexuel, une initiative du nouvel avant-projet de loi (Article 10 de l’avant-projet de loi) que salue Konia ADOMAYAKPOR.
La lutte contre les violences sexuelles reste une lutte à plusieurs niveaux. La dénonciation des auteurs, la sanction infligée à ceux-ci et la sensibilisation de toute la population sur les impacts, combien négatifs pour les jeunes filles.