Société : les veuves de la paix
Angoisse, tristesse et stress, c’est le quotidien de ces femmes qui ont perdu leurs époux dans les missions onusiennes. L’amertume et le chagrin diffèrent selon les circonstances du décès mais le point commun, la survie après le drame. Celles qui pleurent aujourd’hui attendent le retour de leurs époux partis en guerre pour apporter la paix dans les pays frères et amis. Le Togo est le 16e pays contributeur de troupes et de personnel de police aux opérations de maintien de la paix de l’ONU. De ces bataillons déployés, certains casques bleus reviennent mais avec les pieds devant, dans un silence éternel. Ils sont morts sur les champs de bataille, laissant veuves et orphelins.
« Je vais en mission ! », disent-ils avant de partir. Je reviens dans 12 mois, rassurent-ils tout en souriant, cachant l’inquiétude aux proches et familles, en réajustant le béret bleu sur la tête, couleur des Nations-Unies. Ils quittent le sol de leurs aïeux pour combattre l’ennemi sous d’autres cieux. Plusieurs sont ceux qui reviennent avec le sourire de retrouver les siens, et certains, succombent, laissant ainsi derrière, veuves et orphelins. Ces veuves sur qui reposent désormais toutes les charges du ménage mais aussi obligées parfois de faire face à l’injustice.
Le drame
Angela nous accueille dans sa maison située dans un quartier de la ville de Kara, au nord du Togo. Assise sur une natte dans sa terrasse, menton calé par sa main droite, se tordant de douleurs. Nous approchons d’elle, difficile de lever la tête. Nous reçûmes, un bienvenu bien froid. Elle s’est blessée dans un accident de circulation cette mi-journée en partant chercher ses enfants à l’école. Elle se retrouve seule, face à l’éducation de quatre enfants, l’époux, militaire, fauché dans une mission, onusienne : « un 7 décembre, j’étais au téléphone avec mon mari jusqu’à 23h, planifiant son retour. Le lendemain, le 08, du matin jusqu’au soir je n’ai pas eu de ses nouvelles. J’ai appelé à plusieurs reprises sans suite » nous raconte-t-elle. Le même jour, on apprenait la mort de sept casques bleus du contingent togolais: « Un convoi de la logistique de la MINUSMA a heurté un engin explosif improvisé entre Douentza et Sévaré sur la route nationale 16 dans la région de Bandiagara « , annonce la mission dans un communiqué de presse. Cette attaque a emporté le Sergent-Chef Alfa, l’époux de dame Angela. Elle avait un pressentiment, toujours sans nouvelle de son mari jusqu’au matin du 9 décembre. Pendant qu’elle attendait toujours le coup de fil de son époux, une délégation du camp militaire arrive avec la mauvaise nouvelle. « Le ciel me tombait dessus. Les enfants commencèrent par crier et en pleurs. L’ainée, âgée de 14 ans à l’époque, a été informée du décès de son père par ses camarades qui ont eu la nouvelle à travers les réseaux sociaux. Elle fit une crise à l’école et est restée sept jours dans le coma », se souvient-elle. C’est le début d’une nouvelle vie pour la nouvelle veuve et les orphelins.
Tout comme dame Angela, maman Divine qui vit à Lomé a aussi perdu son mari dans la même attaque. « La veille, on s’est appelé et je lui ai parlé des besoins dans la maison. Le lendemain, il m’a écrit très tôt qu’il a envoyé l’argent. Toute heureuse, j’ai dit merci et il me dit qu’il partait en mission et qu’il ne sera pas connecté jusqu’à 16 h 00. Le jour du drame, nous avons prié ensemble et il est parti à sa mission. C’est donc la dernière fois que j’ai discuté avec lui. Le soir vers 17H, j’ai appelé sur son numéro mais personne n’a décroché, j’ai également appelé sur les numéros de ses amis avec lesquels, il était en mission, mais rien », se souvient-elle. Le lendemain, maman Divine va effectuer ses courses en ville en étant bien triste parce qu’elle est sans nouvelles de son époux. À son retour, elle est située sur son sort, elle devra désormais porter le noir, son mari est tombé sur le champ de bataille : « Ma tante qui n’est pas fréquente chez nous est venue, j’ai toute suite compris qu’il y avait un souci. Lors de nos échanges, elle me fait comprendre que mon mari a eu un accident et est dans le coma. Les minutes qui ont suivi, c’est une voisine qui rentre chez nous en larmes que mon mari est décédé. J’ai fait une crise. Je me suis réveillée le lendemain », nous raconte-t-elle, les yeux larmoyants.
Des soutiens multiformes
En cas de deuil, comme le veut la tradition, les condoléances fusent de partout. Le soutien financier ne fait pas défaillance. L’Organisation des Nations-Unies a assisté chacune des familles endeuillées avec une enveloppe de cinquante millions (50 000 000) de Francs CFA à partager entre la famille : parent du défunt et aussi la ou les veuves et les orphelins. Les orphelins mineurs ont un compte bloqué chacun, confie dame Angela :« Chaque enfant a un compte en banque de cinq millions (5 000 000) de Francs CFA. Ils auront accès à ce compte à leur majorité » affirme-t-elle.
Pour les cérémonies funéraires, le gouvernement togolais à travers l’État-Major Général des Forces Armées Togolaises assiste les familles des victimes. Au-delà, au sein même des régiments, des gestes de solidarité se font: « En mars dernier, le régiment de mon défunt époux nous a fait don de vivre: un sac de riz et un bidon de 5 litres d’huile pour chaque enfant » précise-t-elle. De ces soutiens, ces familles peuvent se relever et assurer une éducation de qualité aux enfants. Sauf que, de ces soutiens, naissent des incompréhensions.
Le pactole de toutes les injustices
Les protocoles de l’inhumation terminés, ces veuves de la paix sont seules à se battre nuit et jour pour l’avenir des enfants : le vivre, la santé, l’éducation des enfants. Elles assument le plus souvent seules ces charges en espérant que ceux-ci grandissent et trouvent eux-mêmes des moyens de subsistance. « Après le décès de papa, sa famille nous a tourné le dos. Elle m’accuse d’avoir tué mon mari », confie Angela. Son calvaire avec sa belle famille aura duré un bon moment. Il a fallu, qu’elle se tourne vers l’État-major des FAT pour trouver gain de cause : » Mes beaux-parents ont refusé de me remettre ce qui me revient de droit. Ils m’ont chassé de chez eux. Je suis retournée me plaindre à l’état-major et ils ont été convoqués. C’est là où ils sont venus déposer mon argent (4 millions) », confie-t-elle. C’est donc avec cette somme, qu’elle a agrandi son commerce. Et de ce commerce, vivent aujourd’hui les orphelins. Le cas d’Angela n’est pas isolé. C’est souvent de ces difficultés que rencontrent ces veuves de la paix. Même si des dispositions sont prises pour permettre que la famille des casques bleus décédés en mission ne vivent pas dans la précarité, au sein même des familles, tout est mis en œuvre pour rendre compliqué l’existence des veuves et orphelins.
Le Forum Togolais de la Société Civile pour le Développement pour sa part salue l’effort des autorités togolaises dans l’accompagnement des familles endeuillées mais propose un accompagnement beaucoup plus psychologique des veuves et enfants et bien au-delà, « nous souhaitons que la mémoire de ces vaillants soldats morts pour la paix soit restaurée à travers l’appellation en leurs noms de certains lieux publics comme les marchés, les terrains de jeux, les écoles, les dispensaires, les rues, etc. par exemple», a affirmé Kérim PLE, Directeur Exécutif du FTSCD.
Plusieurs casques bleus sont tombés ces dix dernières années. Parti donc combattre, les « au revoir » sont devenus des « adieux ». La paix apportée dans d’autres pays a malheureusement engendré, ici, des peines. Ces veuves de la paix sont certainement fières d’avoir eu comme époux, des vaillants combattants de la paix.
Espoire TAWI