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INTERVIEW : « Le mariage des enfants est en lui-même une violence », Atsu EKLU Spécialiste Genre

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Des enfants de moins de 18 ans, sont marié(e)s de force. Vous en doutez ? Eh bien, selon les dernières données de l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’enfance), 12 millions de filles seraient mariées pendant leur enfance chaque année dans le monde. Les mariages précoces, les mariages forcés ou mieux le mariage d’enfant ont plusieurs causes et de réels impacts sur la vie des filles et encore plus sur la société tout entière. Ces phénomènes constituent en plus une Violence Basée sur le Genre.

Dans cette interview qu’a bien voulu nous accordé Atsu EKLU, Spécialiste Genre au Bureau Régional UNICEF, Bangkok (Thaïlande), nous parlons des causes et des conséquences des mariages d’enfant et comment ils constituent une VBG. Bonne lecture.

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Que comprendre par mariage forcé, mariage précoce et comment ces mariages sont-ils une VBG ?

Tout d’abord, définissons les phénomènes. Les expressions mariage d’enfants, mariage précoce et mariage forcé sont souvent utilisées de manière interchangeable. En réalité, il faut les distinguer, même si ces expressions entretiennent des rapports entre elles.  

Selon le Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’homme sur la prévention et élimination des mariages d’enfants, des mariages précoces et des mariages forcés, on entend par mariage d’enfant toute union formelle ou informelle dans laquelle au moins l’un des conjoints est un enfant, c’est-à-dire une personne n’ayant pas 18 ans révolus.

L’expression mariage précoce peut porter sur l’âge des époux, c’est-à-dire l’un ou les deux n’ont pas 18 ans révolus. Mais le mariage précoce renvoie également à un mariage dans lequel les deux époux ont 18 ans ou plus, mais où d’autres facteurs font qu’ils ne sont pas prêts à consentir au mariage, notamment du fait de leur niveau de développement physique, émotionnel, sexuel et psychologique, ou par manque d’information sur les choix qui s’offrent à eux pour construire leur vie

Quant au mariage forcé c’est tout mariage dans lequel l’un des conjoints au moins n’a pas personnellement donné son consentement plein, libre et éclairé à l’union. Cela voudra dire qu’un adulte peut bien être victime de mariage forcé, du fait de la contrainte ou de fortes pressions sociales ou familiales. Le mariage forcé existe chaque fois que la personne est forcée de se marier ou n’a pas la possibilité de sortir du mariage quand elle l’aura voulu. Un mariage d’enfants est considéré comme une forme de mariage forcé car au moins l’un des conjoints n’a pas librement exprimé son consentement plein, libre et éclairé, même si les deux ont OUI. Parce qu’avant 18 ans, la personne humaine ne peut pas donner un consentement juridiquement valable, sauf dans certains cas très particulier.

 

Quelle est la cause principale du mariage des enfants ?

Le mariage des enfants est causé principalement par les croyances et les normes sociales. Les normes sociales sont des règles sociales informelles (non écrites) communes et spécifiques à des sociétés et qui façonnent les attitudes et comportements individuels. Ce sont ces règles qui, dans chaque société définissent et influencent le comportement et les attitudes des individus, ce qui est attendu des femmes et des hommes (attentes sociales) et ce à quoi la société accorde de la valeur ou juge important pour les femmes et l’homme (valeur sociale). Voici quelques exemples de normes qui induisent au mariage des enfants :

  • La fille doit être trouvée vierge le jour du mariage et c’est un honneur pour sa famille. Pour s’assurer qu’il en sera ainsi, il faut la marier le plus tôt possible. Une autre norme qui est liée celle-ci est qu’une fille ne doit pas avoir ses deuxièmes menstrues dans la maison de ses parents.
  • Ce qui fait l’importance d’une femme, c’est de se marier, d’avoir des enfants et beaucoup d’enfants (valeur sociale). C’est ce qu’on appelle le culte de la fécondité élevée. Or au fur et à mesure que la femme avance en âge, sa capacité à procréer diminue. Elle risque de finir avec trop peu d’enfants ou même sans enfant et donc sans valeur. Pour éviter cela, elle doit se marier le plut tôt possible.
  • Le rôle de la femme c’est à la maison : savoir tenir un foyer, s’occuper de son mari et de ses enfants. On n’a pas besoin de faire de longues études pour apprendre cela. Il suffit de voir sa maman ou d’autres femmes le faire. D’ailleurs, chaque année supplémentaire dans les études l’éloigne de ces objectifs.

Si vous êtes une personne instruite et/ou si vous vivez dans une ville, ces causes ci-dessus vous paraitront désuètes, bizarres. Vous pourriez même être tentée de dire que ce n’est pas vrai. Mais documentez-vous ou faites un tour dans les milieux ruraux et vous verrez ce qui se passe. 

Qu’en est-il des autres causes ?

Les normes étant la cause principale, la cause structurelle et profonde, il y a des causes intermédiaires qui sont en réalité des facteurs de vulnérabilité au mariage d’enfants. En voici quelques exemples :

  • Les grossesses non désirées. Les grossesses non désirées encore appelées grossesses précoces sont celles contractées par les adolescentes (10-19 ans) au moment où elles sont encore sur les bancs d’école ou en apprentissage. A l’accouchement, elles deviennent désormais des filles-mères. Les grossesses chez les adolescentes entretiennent un rapport de voisinage étroit avec le mariage des enfants. En effet, dans plusieurs communautés, des parents et des familles comprennent progressivement le danger du mariage des filles de moins de 18 ans et s’interdisent désormais cette pratique. Malheureusement, c’est en ce moment que leurs filles adolescentes tombent précocement enceinte, remettant les parents dans la situation qu’ils tentent d’éviter. Lorsque cette situation se produit, certains parents gardent leurs filles à la maison jusqu’à l’accouchement pour que celles-ci reprennent les études ou la formation professionnelle après la délivrance. Mais la plus grande partie des parents prend une décision radicale. Ceux-ci, selon leurs dires, se disent ne pas avoir d’autres choix que de donner la fille en mariage à la demande de l’homme ou du garçon), de la laisser partir (donc à l’initiative de la fille) ou de la chasser vers la maison de l’homme ou du garçon. Chacune de ces trois situations aboutit à une union du fait de la grossesse. Donc la grossesse n’est pas en elle-même une cause ou du moins la cause principale, c’est un facteur qui peut conduire au mariage des enfants.

 

  • La pauvreté des familles. La pauvreté dans les familles fait que les parents, par exemple, ne peuvent pas maintenir tous les enfants à l’école. Ils font le choix basé sur ce qu’on appelle la préférence du fils (ou du garçon) et retire la fille de l’école précocement. Lorsque la fille quitte l’école elle devient vulnérable a beaucoup de choses y compris le mariage même si elle n’a pas encore 18 ans et même si elle ne veut pas. Il y a certaines filles qui ne sont même pas inscrites à l’école à cause de la pauvreté. Maintenant pourquoi la pauvreté est un facteur et non une cause principale ? la réponse est simple : dans cette famille pauvre, on passe par tous les moyens pour maintenir le garçon a l’école. Si on ne peut vraiment pas, on lui trouve des alternatives : apprendre un métier, trouver un lopin de terre pour commencer un champ, partir a l’étranger… Mais, dans un grand nombre de cas, surtout dans les pays ou la prévalence du mariage des enfants est encore forte, on ne propose pas automatiquement ces solutions à la fille. Certains parents retirent même la fille de l’école et c’est pour la marier directement pour avoir des ressources a travers le payement de la dot pour eux-mêmes ou pour envoyer le garçon a l’école, parce que c’est lui qui doit nourrir une famille plus tard ou qui doit s’occuper d’eux quand ils seront vieux. Cette manière de penser et d’agir est d’ailleurs l’application d’une autre croyance sociale : l’homme est le gagne-pain de la famille.

 

  • Le fait religieux. Dans plusieurs milieux, la religion surtout musulmane est présentée comme une religion qui ‘’force’’ au mariage des enfants. Des discours tenus par les chefs religieux et la prévalence du mariage des enfants dans les pays musulmans, surtout d’Afrique subsaharienne sont de nature à sembler corroborer cette manière de penser. Le fait d’être musulman pour les filles conduit-il obligatoirement aux mariages des enfants ? pas si sûr. Pourquoi ? La population du Niger est composée à plus de 80% de musulmans. C’est le deuxième pays musulman d’Afrique noire (derrière le Nigéria). L’Indonésie est le plus grand pays musulman du monde en termes de densité de la population. L’on pourrait s’attendre à ce que le taux de mariage des enfants de l’Indonésie soit aussi important que celui du Niger. En réalité, il n’en est rien. Alors que ce taux culmine à 76% au Niger, il est (seulement) de 16% en Indonésie. L’Algérie, le Maroc, la Tunisie et l’Egypte sont aussi des pays d’Afrique à forte densité musulmane. Cependant le taux du mariage des enfants en Egypte est de 17 %, 4% en Algérie, 1% en Tunisie, 14% au Maroc. Il est donc légitime de penser que l’Islam a lui seul n’est pas cause du mariage des enfants.

 

Comment le mariage des enfants est une forme de VBG ?

On appelle violence basée sur le genre, une violence qui est dirigée contre une personne a cause de son genre (homme ou femme), a cause de son identité de genre, a cause de son expression du genre ou son orientation sexuelle. Le mariage des enfants est en lui-même une violence parce qu’il s’attaque à l’intégrité physique, morale, psychologique de la victime. Il menace ses intérêts économiques surtout futures, c’est sa capacité a avoir un travail décent et vivre une vie digne. C’est une violence basée sur le genre parce qu’il est dirigé principalement vers les filles justement parce qu’elles sont filles, donc leur identité de genre.

Que faire quand une jeune fille est confrontée à un mariage d’enfants ou indésiré ?

Lorsqu’on est témoin d’un mariage d’enfants ou mariage forcé, il faut alerter les forces de l’ordre et de sécurité et les agents de l’action sociale.

 

Quel plaidoyer selon vous, pour venir à bout du phénomène ?

La plus grande cause du mariage des enfants, on l’a dit, c’est la persistance des normes sociales néfastes. Par conséquent, la solution c’est d’identifier ces normes et de travailler les communautés pour les éliminer et les transformer.  

Ensuite il faut travailler sur les facteurs notamment celui lié aux grossesses non désirées.

Une lutte efficace contre le mariage des enfants doit prendre en compte la prévention des grossesses chez les adolescentes. Les programmes doivent comporter les stratégies suivantes, sans se limiter à celles-ci :

  • Le renforcement des capacités des adolescents et jeunes sur les compétences de vie (confiance en soi, prise de décision, valeurs personnelles, respect mutuel…
  • L’éducation aux droits sexuels
  • Le plaidoyer pour l’intégration de l’éducation sexuelle dans les curricula de formation des enseignants et des élèves
  • L’identification et l’élimination des croyances et normes sociales néfastes liées la sexualité
  • L’appui aux parents et communautés avec des outils adaptés pour l’éducation sexuelle des enfants et jeunes
  • L’augmentation de l’accès des adolescents et jeunes aux services de santés sexuelle et de la reproduction y compris la contraception, à moindres coûts, confidentiels et exempt de tout jugement.

Il est aussi certain que les leaders religieux disposent d’un pouvoir et d’une autorité considérables au sein des communautés. Ils sont souvent des intermédiaires au sein des communautés religieuses. Ils jouissent d’un pouvoir et d’une autorité considérables et influencent les croyances et les comportements de leurs fidèles. Leurs contributions peuvent donc être très importantes parmi l’ensemble des approches nécessaires aux changements d’opinions et de comportements à l’égard du mariage des enfants.

Par conséquent, il important de prendre en compte le fait qu’avoir les leaders religieux comme alliés ou, au contraire comme opposants aux stratégies, peut se révéler crucial pour leur réussite. Il est tout aussi important qu’une recherche approfondie soit conduite pour quantifier véritablement la part de la religion dans la prévalence du mariage des enfants. Nous avons également besoin de stratégies innovantes basées sur les écrits sacrés pour s’engager efficacement avec les leaders et les communautés religieux.

 

Ceci est un article de sensibilisation dans le cadre du projet « Centre de promotion féminine d’Ogou1 et égalité femme-homme dans les communes du Togo » piloté par la Faitière des Communes du Togo (FCT) grâce à l’appui de l’Union Européenne et l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF).

 

Propos receuillis par E. Egnoname GADEDJISSO TOSSOU

 

 

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