KARA-TOGO: la consommation de la viande du chien interdite aux femmes et pourtant!
Le mois de juillet est celui des cérémonies traditionnelles en pays Kabyè. Ces cérémonies concernent aussi bien les hommes qui font la lutte que les femmes qui font Akpéma. Evala pour les hommes nécessite une force pour terrasser son adversaire, la viande de chien est utilisée pour redonner cette vigueur aux jeunes lutteurs. Cette viande reste interdite aux femmes tout âge confondu mais sa consommation fait son entrée dans le quotidien de certaines.
Interdite, et pourtant
Nous sommes au mercredi après-midi. La finale des luttes traditionnelles bat son plein dans le canton de Bohou. Pendant que certains dansent pour célébrer leur Evala (lutteurs), d’autres se désaltèrent sous des hangars de fortunes autour de la boisson locale Tchoukoutou. De loin ,nous apercevons des visages féminins parmi tant d’hommes. Approchez, nous leur demandons si elles connaissent le goût de la viande du chien. «Je suis une vraie consommatrice», lance Solange avec un léger sourire avant d’ajouter: « La viande du chien, je pense que c’est le meilleur choix que je ferai s’il y a plusieurs types de viandes à un buffet. C’est la bonne d’ailleurs, quand tu la consommes et tu te retrouves en chambre avec ton homme tu es surexcitée. En plus, elle me donne plus de force et le courage. Spirituellement, elle est importante pour moi », nous confie-t -elle. Tout comme elle, Christine consomme aussi la viande du chien, uniquement pendant ses grossesses: « Je prends ça particulièrement quand je suis enceinte. Du 1er jusqu’au 9ᵉ mois et c’est bon. L’accouchement se passe sans soucis, l’expulsion du bébé est très rapide et facile. Juste quand je quitte le lit de l’hôpital pour la maison, c’est fini jusqu’à la prochaine grossesse et je mange de nouveau », révèle-t -elle. Caprices de grossesse? Peut-on se demander mais elle est claire, il s’agit de préparer son accouchement.
La viande du chien, un symbole
Comme l’exige la tradition, cette viande est utilisée exclusivement pour les cérémonies initiatiques du jeune lutteur: « La viande du chien est mangée sur trois ans. Lorsque le jeune garçon a 18 ans, il est initié et aguerrit pour défendre sa maison, sa collectivité, son village et son pays. Son père lui achète un chien qui va servir lors des cérémonies. L’oncle peut aussi offrir au jeune lutteur si ce dernier l’assiste dans ses travaux champêtres », explique Kpatcha BEOULA, représentant du chef canton de Lama, chef du village de Lama Fèing.
La femme en aucun cas n’a besoin de force pour quoi que ce soit et jusqu’à manger la viande du chien, c’est aberrant
La viande du chien est spéciale pour plusieurs raisons, ajoute le chef: « Cette viande est un boost, c’est un excitant, elle donne la vigueur à quelqu’un même que vous estimez qu’il est fainéant, le bouillon lui donne plus de force. À partir du moment où il consomme cette viande, il est excité et prêt à agir. La lutte pour chaque jeune garçon dure trois ans. Après les trois années de lutte, fini la démonstration de force, fini aussi la consommation de la viande du chien ».
Interdite aux femmes
Consommée comme un excitant ou un stimulant, la viande du chien est formellement interdite aux femmes en pays Kabyè, martèle Kpatcha BEOULA : « L’homme est celui-là qui protège sa maison et donc Dieu, en créant l’homme, lui a donné la force nécessaire pour le faire. C’est ce que nous activons chez lui avec la cérémonie en lui faisant manger la viande du chien. Il ne la mange pas lui-même mais on la lui donne et parfois, on le force puisque c’est sa première fois, s’il refuse, on le frappe. La femme en aucun cas n’a besoin de force pour quoi que ce soit et jusqu’à manger la viande du chien, c’est aberrant ». Aujourd’hui, des femmes consomment cette viande sans aucune gêne, le chef exprime sa désolation: « Qui a réussi à inculquer ça aux femmes ? je n’en sais rien. La plupart des femmes qui en consomment sont surexcitées et font face à leurs époux pour une lutte quelconque puisque tous deux ont la force dans les muscles. Pour les jeunes filles non encore mariées, les hommes qui leur offrent ça les emmènent avec eux à des endroits pas possibles pour ce que nous savons tous ».
Nos parents nous ont dit que les femmes ne mangent pas la viande du chien. Même quand je passe dans un endroit où on la fait, je cours vite pour quitter les lieux
La viande du chien est vendue tout comme d’autres, une situation que déplore le représentant du chef canton de Lama :« Nous, garants des us et coutumes, sommes en réflexion pour mettre fin à cette pratique. La viande du chien n’est pas à vendre. Ce sont ceux qui en vendent qui favorisent le désordre que nous observons dans la consommation de cette viande. La femme n’en mange pas, le jeune qui n’a pas encore 18 ans et l’homme qui a fini ses années de lutte n’ont pas accès à la viande du chien ».
Respect des lois traditionnelles
Des femmes qui jusqu’ici respectent les normes traditionnelles n’en consomment pas. Bozobè la soixantaine est originaire du canton de Tchitchao :« Chez nous, cette viande est interdite aux femmes, elle est utilisée pour les jeunes lutteurs. Sans trop savoir pourquoi, je respecte ce que nos parents nous ont dit ». Pour d’autres femmes comme Magnim de Bohou, il faut la fuir : « Nos parents nous ont dit que les femmes ne mangent pas la viande du chien. Même quand je passe dans un endroit où on la fait, je cours vite pour quitter les lieux ou si je le sais par avance, je fais un détour pour ne rien voir et savoir de ce qu’ils font ».
La viande du chien est utilisée pour les rites initiatiques des jeunes garçons en pays Kabyé, par conséquent, l’interdiction faite aux femmes d’en consommer reste d’actualité, il faut préserver la tradition.
Espoire TAWI
